La Fascination du pire – Florian Zeller

Publié le par Laura Z

            Chroniquement polémique et insupportablement fascinant…Ainsi peut-on caractériser ce roman de Florian Zeller où la limite entre le réel et la fiction est brouillée en permanence…Vous êtes manipulés mais laissez vous guider, vous n’en sortirez pas indemnes !

 

Jour 1 : Où va-t-on ?

 

Zeller nous embarque avec lui au Caire où son narrateur-personnage est attendu pour le salon du livre. Il plante d’emblée le décor qui nous conduit tout droit au cœur de la polémique. Le livre parle de l’Islam, en Egypte précisément, et de la domination qu’il exerce sur une population endoctrinée et soumise et par conséquent privée de ce que nous occidentaux usons et abusons avec délectation, le sexe. Cela vous paraît réducteur ? Alors continuons…Mais détrompez-vous, parler de sexe peut vous conduire vers des profondeurs insoupçonnées. D’ailleurs selon la grille de lecture zellerienne, le rapport d’un peuple au sexe pourrait expliquer le rapport de cette même société au monde. Tout un programme…et de la découlerait donc, la profondeur du roman.

 

Jour 2 : Mais de qui se moque t-on ?

 

Arrivée au Caire. Ce qui frappe immédiatement le narrateur, c’est le poids de l’Islam à en juger par l’omniprésence des voiles qui couvrent les femmes. Encore un pamphlet sur l’Islam donc ??? Eh bien oui. Ou peut-être que non en fait. Peut-être s’agit-il d’un roman sur le choc des civilisations, sur la liberté d’expression, sur le parcours d’un homme en souffrance et en pleine errance ? C’est en fait un roman qui traite de manipulation. On est au cœur du sujet. Religion qui manipule les sociétés, désir sexuel qui manipule l’homme, journalistes et écrivains qui manipulent la liberté d’expression. Femmes qui manipulent les hommes. Croyez-vous être libres ? Vous ne le serez même pas à la lecture de ce bouquin.

 

Jour 3 : Très bien, continuez !

 

Cent pages ce sont écoulées, d’un ennui disons, fluctuant, où le thème du temps qui s’écoule prend tout son sens. C’est un temps épileptique, sporadique. Dire peu de choses avec beaucoup de mots. Jeter des tâches de peinture sur une toile, quelque chose de vulgaire en apparence. Reculez un peu. Vous verrez l’œuvre dans son ensemble et elle prend tout son sens. Celui que vous réussirez à lui donner en tout cas. Zeller lui-même est un manipulateur. Je dirai même plus, un imposteur.

 

2 heures plus tard, page 123 : Où tout commence.

 

Où tout bascule aussi. Tout ça pour ça. Zeller nous a conduits exactement là où il le voulait et nous l’avons suivi non sans protestation.

Ainsi donc, ce Martin, collègue écrivain du narrateur est un manipulateur né. S’en suit alors une mise en abîme habile et délicate. Martin écrit un roman qui raconte l’histoire que nous venons de lire. Alors tous les propos tenus sur un Islam castrateur et aliénant par le collègue écrivant passent dans la bouche de celui qui fut notre narrateur. Alors le narrateur n’a pas dit ce qu’il disait,  mais il l’a dit quand même. Quelqu’un l’a dit mais aurait pu tout aussi bien pu ne pas le dire. Oui, l’Islam est polémique par essence. Il y a les adeptes et les détracteurs. Ainsi donc, on s’éloigne de la vérité et le lecteur perd ses repères. C’est vrai, prendre une position c’est un engagement. Mais une autre opinion est défendable. Tout est relatif, comme disait l’autre. Le livre que nous venons de lire, qui met en exergue, la frustration comme thème déterminant de l’existence, à travers l’exemple –fragile- de l’Egypte, pourrait tout aussi bien avoir été écrit par un autre, ou même être censuré.

 

Jour 4 : Atterrissage :

 

Vous n’avez rien compris ? Moi non plus ! Des thèmes foisonnent, on soulève des chapes pour les refermer aussi sec. On s’énerve de cette vision de l’Egypte, de l’Islam, de l’homme, de la nature humaine. Et en même temps on trouve cela génial car c’est exactement ce que veut l’auteur. Cercle vicieux… Mais diantre, pourquoi s’être aventuré sur le terrain de l’Egypte alors que l’auteur la connaît à l’évidence si peu ? Et comment créer un univers avec des descriptions du Caire digne du guide du routard ? « J’avais à peine ouvert la baie vitrée que le bruit sublime de la ville pénétrait dans ma chambre : des cris d’enfer, des bruits de moteurs et des klaxons incessants auxquels se mêlaient au loin l’appel à la prière. [p.27] » ou « Les gens conduisent très vite, souvent très mal, et les accidents sont nombreux. [p.33] » L’atterrissage, c’est aussi beaucoup de longueurs ponctuées d’à coup plus ou moins agréables. Le décollage aussi d’ailleurs. Il faut quand même souligner de brillants passages qui dénotent la culture littéraire et philosophique de Florian Zeller. Mais quand même, on n’est pas dans la Correspondance de Flaubert. Pas de magie chez Zeller. L’homme du 21ème siècle souffre du syndrome du réalisme. La vérité est sans doute trop cynique pour qu’on puisse la sublimer.

 

Jour 5 : Débarquement immédiat :

 

Ce fut une brève escapade dans la péninsule du talent. La construction du récit est maîtrisée tout comme la dialectique du manipulé manipulateur. Mais il y a, à la frontière de cette péninsule, la principauté de la polémique, où l’arrogance règne en maître. Si tout cela reposait sur une analyse sociologique fine et pertinente, nous serions repus. Mais comme tout est faux, erroné ou manipulé, nous sommes bernés. C’est cela la fascination du pire. Au mieux c’est insupportable. Mais si vous êtes fascinés, c’est pire !

Publié dans Littérature

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F
Très lucide ton commentaire. J'ai aimé ce roman.
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