Seul dans le Noir - Man in the Dark, Paul Auster

Publié le par Laura Z

Seul dans le Noir – (Man in the Dark)

PAUL AUSTER

 

 

 

Seul dans le noir est le dernier roman de Paul Auster, paru en 2008. On y retrouve Paul Auster dans un registre sensiblement différent de ses œuvres précédentes. Ce roman est beaucoup moins complexe et sophistiqué dans son intrigue même s'il est tout aussi passionnant que ses plus grandes œuvres. Il y a cependant comme souvent une mise en abîme dans la logique du récit, une histoire dans l'histoire, celle qu'Auguste Brill imagine pendant ses insomnies. Il s'agit d'un monde de fiction, après le 11 septembre. C'est notre monde, sauf que les attentats du onze septembre n'ont pas eu lieu. New-York a fait sécession et l'Amérique est entrée dans une terrible guerre avec elle-même, sanguine et dévastatrice. C'est l'histoire qu'invente Brill, une terrible réalité, reflet de ses angoisses et de ses réflexions, pour échapper à sa propre réalité, peut-être plus sombre encore. Dans les deux cas les protagonistes sont coincés, incapables de trouver une issue à leur détresse, terrassés et désarçonnés par une réalité si étrange et si cruel. Brill s'évade par la réflexion ...

 

Ce livre est ponctué de phrases très fortes qui synthétisent l'esprit du roman. Elles n'apparaissent pas de façon contiguë mais mises bout à bout, elles prennent un sens particulier.

 

« Ce monde étrange continue de tourner ».

 

« La vie est décevante ».

 

« Je veux que tu sois heureuse ».

 

Les trois phrases clef de ce livre sonnent comme un syllogisme, qui résonne sans cesse, comme un encouragement que l'on dirait à ceux qui nous sont chers; comme un sermon que l'on se ferait à soi-même. Un aveu d'impuissance et pourtant, la volonté de faire preuve d'une force incroyable et inespérée, être heureux malgré tout...

 

Paul Auster donc, dans un registre plus paternaliste, plus sage que jamais. C'est un vieil homme qui parle, fort d'une expérience dense et réfléchie, à l'image de son personnage, Auguste Brill, qui à lui-même et à sa petite-fille Katya, expose sa philosophie de la vie, ses souvenirs, chers et précieux, relate ces expériences qui construisent un homme et qui quoi qu'il arrive, font qu'il a vécu. Il prend du recul sur sa vie, sur la vie et sur les événements. Il sait qu'une tragédie à un instant T a des conséquences qui peuvent déclencher un tourbillon, à l'échelle d'une nation -comme un attentat, tout comme à l'échelle d'une vie -la mort d'un proche. Ensemble ils essaient de vivre avec les horreurs qui les hantent: l'assassinat barbare en Irak de Titus le petit-ami de Katya, la mort de la femme d'Auguste emportée par un cancer; ils essaient de continuer à vivre après cela. Ce sont ces événements qui sonnent la fin d'une époque et l'ouverture d'une nouvelle ère où il faut réapprendre à vivre, avec ceux qui restent, et avec les souvenirs...Car si la vie est décevante, cela n'empêche pas le monde de tourner. Et Auster de nous rappeler que c'est un peu chacun de nous qui fait tourner ce monde.

 

La thématique du temps est par ailleurs très présente dans ce livre, ce qui corrobore à mon avis, l'idée d'un livre « Mémoire » plus qu'un roman même si cela reste une fiction, c'est avant tout le constat amer d'un homme qui dans sa vie personnelle comme dans l'époque qu'il a traversé, n'a pas été épargné. Le temps c'est tout d'abord le temps qui défile irrémédiablement, et fait qu'un jour il ne reste plus qu'à regarder sa vie dans le rétroviseur. Le temps a passé pour Auguste Brill, trop vite, alors que dans ses longues insomnies, le temps semble s'être arrêté sur ses douleurs, impossibles à soulager. Le temps est présent jusque dans les scènes cinématographiques que regardent ensemble Auguste et Katya sa petite-fille, comme dans la scène de Tokyo Story où la belle-fille reçoit en cadeau de son beau-père une montre, synonyme du temps qui passe et fait son travail constructif et destructeur à la fois, tantôt constructif, tantôt destructeur, ponctué d'instants de bonheur, éphémères, fulgurants, et l'oubli éternel, les brûlures indélébiles, la rédemption et la rémission, lentes et incertaines.

 

Seul dans le noir est l'occasion d'une promenade dans une vie, dans des histoires, où le temps est chronométré. Mais nul ne sait de combien de temps son compte est crédité. Et tout peut basculer en un battement de cil. C'est pourquoi chaque vie est une quête de bonheur, souvent inaccessible, toujours inachevée.

 

Seul dans le noir, c'est aussi un épisode nostalgique du passé, l'occasion de se remémorer un amour profond, une période révolue que l'on a aimé mais dont on aime peut-être plus encore, avec douceur et déférence, le souvenir, une fois qu'on a conscience qu'il est insaisissable.

 

Seul dans le Noir c'est enfin l'acceptation de la causalité des événements telle que la définit Spinoza, le processus de cause à effets dans la logique de l'Histoire. Un destin dont nous sommes à la fois le maître et l'objet. Et à défaut d'être maîtres des événements, nous pouvons être maîtres de la façon dont nous les vivons.

 

Oui « la vie est décevante », il faut vivre pourtant. Quoi qu'il arrive nous faisons partis de nos vie, de ce monde absurde qui continue d'exister malgré ses aberrations, et qui se pérennise dans cette absurdité, souvent, trop souvent, empreinte d'une violence insoutenable, injustifiable, impensable même. Et pourtant...il tourne.

 

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